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Mode : en Ecosse, des étoffes sans héraut

Qui peut citer un designer de mode écossais ? Les spécialistes se souviendront de Christopher Kane, qui eut son heure de gloire dans les années 2000 en collaborant avec Versace et Topshop ; la marque qui porte son nom a été placée en redressement judiciaire en 2023. Influencé par son héritage écossais et la culture queer, Charles Jeffrey, lui, fêtera les dix ans de sa marque lors de la prochaine fashion week de Londres, en juin, mais sa notoriété reste confidentielle. Jusqu’à présent, l’Ecosse n’a vu éclore aucun créateur de mode majeur.
Ce constat est étonnant, lorsqu’on connaît la richesse de l’industrie textile locale et son influence sur les designers du monde entier. L’Ecosse, c’est évidemment la région du tartan, ce tissu de laine à carreaux qui était déjà fabriqué par les tribus gaéliques installées dans le comté d’Argyll au Ve siècle. Il est devenu un symbole de l’identité écossaise après la bataille de Culloden de 1746 : l’Angleterre victorieuse interdit alors le port du tartan, sous peine d’emprisonnement, pendant près de quarante ans. Le tartan se diffuse au-delà des frontières écossaises dès le début du XIXe siècle et la demande s’accroît encore sous l’impulsion de la reine Victoria (1819-1901), qui s’en sert pour décorer sa résidence de Balmoral.
Dans l’histoire récente de la mode, de nombreux designers non écossais se sont approprié ce tissu. L’Anglaise Vivienne Westwood (1941-2022), qui en avait fait sa marque de fabrique, a même officiellement inscrit au Registre écossais des tartans celui qu’elle avait développé en 1993 avec Lochcarron of Scotland. Depuis plus de soixante-quinze ans, cette entreprise tisse en son nom des tartans en pure laine vierge, et fournit aussi Ralph Lauren, Dior, Isabel Marant et Burberry. Le motif à carreaux beiges, emblématique de cette dernière marque, est d’ailleurs inspiré par le tartan écossais.
L’Ecosse, c’est aussi le berceau du tweed, ce tissu en laine cardée − c’est-à-dire juste peignée pour enlever les impuretés − réalisé en sergé, un motif de tissage entrelacé qui lui confère un aspect rustique. Robuste et confortable, il a été l’apanage des paysans avant de devenir la tenue de campagne de l’aristocratie britannique. Avec la révolution industrielle, au XIXe siècle, la production s’accroît rapidement et fait vivre des régions entières. Dans les années 1920, Gabrielle Chanel, inspirée par les tenues de chasse de son amant le duc de Westminster, s’en empare pour fabriquer sa fameuse veste. Si le tweed de Chanel n’est plus fabriqué en Ecosse, la popularité de cette étoffe n’a pas diminué : on en trouve aujourd’hui aussi bien chez Mango que chez Celine. L’Ecosse continue d’en produire une grande partie, notamment dans les îles Hébrides, où le Harris Tweed est protégé par des brevets depuis 1993.
« La mode contemporaine ne cesse de faire référence à l’héritage écossais », constate Clare Hunter, autrice écossaise spécialisée dans l’histoire textile. Selon elle, le peu de designers écossais ayant fait une carrière internationale s’explique par l’absence d’école spécialisée − la mode est enseignée à l’université dans le cadre d’études d’art − et de musée du textile mettant en valeur le patrimoine local. « Mais on voit grandir une génération de designers inspirés par l’histoire écossaise, et surtout par la nature : ils fabriquent du cuir végan et utilisent des déchets organiques pour produire de nouvelles teintures », note Clare Hunter, qui espère que ceux-ci parviendront à se faire connaître au-delà de leurs frontières.
Elvire von Bardeleben
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